Quelles sont les différentes formes de la personnalité en psychopathologie ?

Est-il possible de présenter une vue d’ensemble synthétique et précise sur les formes de personnalité d’un point de vue psychopathologique ? L’auteur Patrick JUIGNET, dans un article, se propose de nous exposer sa méthode qui consiste en la combinaison de trois éléments : la structure psychique, le tableau clinique et l’évolution depuis l’enfance. Une vision originale qui se démarque de ce que l’on voit habituellement dans les études qui fragmentent l’observation du patient en « maladies ».

1 – Historiquement

Fin XIXe siècle, la psychiatrie, la psychologie et la psychanalyse étaient un peu des disciplines concurrentes. Le terme de psychopathologie apparaît alors et c’est celui que l’auteur retient pour passer outre ces querelles. En ce qui concerne la reconnaissance médicale de la personnalité, elle arrive au milieu du XXe siècle et prend sa vraie place grâce à Pierre Janet, sans jamais toutefois devenir une discipline dominante.
Toujours au milieu du XXe siècle, on distingue deux structures psychiques : névrotique et psychotique. C’est le courant psychodynamique qui fonde cette distinction. Jean Bergeret affirme ainsi que le psychisme individuel possède une structure stable « dont les deux modèles spécifiques sont représentés par la structure névrotique et la structure psychotique » (cf. Psychologie pathologique).
Cependant, cette différenciation n’est pas satisfaisante, pas suffisante pour expliquer tous les cas. La psychose englobe la personnalité psychotique et des maladies comme la schizophrénie, quand elle n’est pas tout simplement considérée comme un synonyme de « folie ». Il a donc été nécessaire de reconnaître d’autres formes d’organisation psychique pour nuancer les deux principales.
En effet, les deux formes de personnalité que nous connaissons ont une limite : l’une commence où s’arrête l’autre. Mais cette zone d’entre-deux est en réalité très large et inclut de nombreux types de personnalité bien différents. L’auteur demande donc à ce que soit prise en considération une délimitation plus souple, ce qu’il propose depuis 1995 dans sa vision convergente de la clinique, de la structure psychique et des phases de développement, précisée par l’existence de ce qu’il appelle des pôles. Cette convergence met en lumière des centres, des points qui définissent autour d’eux des espaces d’influence dont les frontières ne sont pas bien déterminées et qui peuvent s’interpénétrer. Le résultat donne une catégorisation plus fine et plus souple dans laquelle un « pôle » marque une forme typique, et la zone tout autour, ses diverses variantes.

2 – La méthode diagnostiquée

Ici, on cherche à distinguer deux catégories de manifestations du domaine de la psychopathologie, et on n’applique la méthode qu’à la première catégorie, celle des différents schémas psychiques tels qu’ils ont été modelés par les relations entre les individus, les relations familiales et sociales, dans le passé et dans le présent. Cela correspond globalement à la personnalité. L’auteur préfère ce terme à celui de « structure psychique », car il implique la notion de dignité humaine et qu’il permet une vision d’ensemble plus riche.

3 – Les convergences : repères en psychopathologie

L’auteur pense donc qu’il existe une convergence entre l’approche clinique, l’approche développementale et la théorie structurale du psychisme. Pour bien visualiser la convergence, on peut penser à un « pôle » qui en serait le point où tout se retrouve, un peu comme le pôle Nord ou le pôle Sud est le lieu de rencontre de tous les méridiens.
Un pôle est ici un point de parfaite concordance entre le développement psychologique, les caractéristiques cliniques et les particularités de la structure psychique. Ces trois concepts mis ensemble permettent une mise en évidence plus fiable qu’un repérage clinique grâce à la démarche diagnostique non figée, qui évolue au fur et à mesure que le praticien connaît mieux le patient.
Les différentes zones sont en continuité les unes avec les autres, mais restent possibles à cerner. La méthode permet de distinguer les différences entre les types de personnalité sans toutefois mettre de côté la continuité de l’ensemble du champ de la psychopathologie d’origine relationnelle.
Les polarités sont là pour un repérage efficace tout en restant souple, en marquant des zones d’influence, et non des cases cloisonnées hermétiquement. Et les pôles permettent de distinguer les formes atypiques de personnalité.
Le repérage est indispensable, mais il introduit des discontinuités avec la diversité et les nuances, et l’idée de polarité vient pallier ce problème. Le psychisme, qui ne cesse de se montrer au moyen de phénomènes divers, normaux ou pathologiques, est la source d’une série continue de faits que l’on ne doit pas chercher à isoler ni à compartimenter comme s’ils étaient indépendants les uns des autres et qu’ils vivaient leur existence propre, tel que le fait l’approche purement empirique.
Schématiquement, le principe de concordance se résumerait ainsi :
– Clinique : mise en évidence de tableaux cliniques réalisés par la description des conduites, symptômes et traits de caractère.
– Structural : construction d’un modèle du psychisme associant instances, fonctions et mécanismes en un ensemble structuré et cohérent.
– Développemental : reconstitution des grandes phases évolutives du développement individuel et évaluation de leur degré de réussite ou d’échec.

4 – Repérage vers un type de personnalité

On ne cherche pas ici à poser un diagnostic définitif, mais plutôt à savoir où s’orienter, dans quelle direction, afin de mieux percevoir où se situe le patient parmi les modèles de fonctionnements psychiques.
L’auteur l’a dit, chaque pôle dans sa méthode possède autour de lui une sphère d’influence. Cela permet de mettre en évidence des personnalités diverses. Ainsi, à titre d’exemple, dans le pôle névrotique, la personnalité hystérique se distingue de la personnalité phobique. Afin de bien définir chaque personnalité, on affine chaque approche – clinique, structure psychique et développement.
Grâce à la polarité, on peut mieux cerner le caractère composite des tableaux cliniques. Considérons deux pôles voisins : leurs zones d’influence respectives se superposent, et cela montre les cas intermédiaires. On trouve ainsi des formes cliniques sur les empiétements qui se situent autour du pôle intermédiaire. Le pôle en lui-même permet donc de se repérer sans avoir à préciser de manière stricte la classification des troubles.
L’auteur ajoute toutefois que le chevauchement entre les pôles opposés (névrotique et psychotique) doit a priori être exclu. On pourrait certes envisager d’avoir des caractéristiques archaïques et des traits évolués en même temps sur le plan de la structure psychique, mais sur le plan psychogénétique, le déroulement dans le temps rend ceci difficile, voire impossible. Une structuration évoluée et récente dépend de ce qui l’a précédée, à savoir les structurations de bases plus précoces et anciennes.
Il est évident que les trois grandes phases évolutives se succèdent et sont chacune indispensable. Si une phase échoue, les suivantes ne pourront pas avoir lieu normalement et la personnalité ne se développera pas correctement, elle conservera sa forme archaïque. Par contre, si toutes les phases se déroulent bien, la structure psychique évoluera. C’est pour cela que les deux pôles, névrotique et psychotique, doivent vraiment être distingués, séparés, et c’est ce qui leur donne une valeur discriminante. Dans l’entre-deux se trouvent de nombreuses nuances constitutives du pôle intermédiaire, c’est là que se situent les personnalités narcissiques, perverses, dysharmoniques, ce que l’auteur se propose de montrer plus en détail par la suite.

5 – Le pôle névrotique et ses personnalités

Une cohérence relationnelle mise en avant par la clinique.
Le praticien a un contact immédiat qu’il estime bon, et, à l’écoute de la personne, la relation semble cohérente. Elle a une posture générale adaptée au contexte relationnel, la conversation est aisée et fluide, le discours est sensé, le langage normal. Même les gestes, les attitudes et les mimiques sont adaptés. Tout ce qui est relaté à propos de la vie quotidienne est compréhensible, le repérage dans le temps est juste, et la personne peut raconter son histoire de manière cohérente malgré parfois quelques oublis. Le sujet perçoit intuitivement son fonctionnement psychique par le biais de la mentalisation, même si cette perception est parfois limitée.
En ce qui concerne l’environnement, le concret, le social, ce qu’on appelle « la réalité », la personne le perçoit convenablement. Elle sait s’ajuster aux règles concrètes et sociales et fait la part entre ce qui est issu de son imagination et ce qui vient de la réalité. De même, elle comprend et assimile correctement la loi morale commune, à savoir les grands principes qui gèrent les relations entre les gens, et respecte généralement la loi normative, à savoir les codes et règlements. Le sujet reconnaît bien l’existence d’autrui en tant que personne individuelle et digne de respect, et non comme un moyen que l’on utilise ou un individu supérieur dont il faudrait avoir peur. L’histoire personnelle du sujet n’est pas chaotique et son enfance a été normale dans une famille structurée.
S’il y a eu un passé douloureux, il est le résultat de conditions d’existence comme des échecs, des frustrations ou des désagréments, et l’on note une dichotomie entre ce que le patient en pense (ce fut terrible), et l’estimation du spécialiste (nul besoin de s’inquiéter), en raison du narcissisme qui résiste. Le patient est une personne anxieuse qui peut faire des crises d’angoisse lors des décompensations. Dans le cas d’une dépression, elle se manifeste par une tristesse difficile à vivre, douloureuse. Culpabilité et sentiment d’infériorité – sans effondrement ni dévalorisation extrême toutefois – sont présents. On assiste très souvent également à de l’inhibition chez ce sujet, qui le conduit à fuir les contacts et à avoir une sexualité très peu présente, voire inexistante, mais sans grande gravité. Le sujet en est conscient et cherche à se faire aider.
L’auteur se propose alors de donner des exemples des symptômes rencontrés chez ces personnes. On peut voir naître une phobie, la peur d’un objet particulier ou d’une certaine situation, et l’angoisse générée par la phobie est contournable en évitant de se confronter à l’objet de la phobie ou à la situation, ou bien en développant un système de réassurance. Autre exemple de symptôme : l’obsession. C’est une pensée involontaire qui se répète et qui menace, sans cependant provoquer trop d’anxiété. Le sujet ne parvient pas à s’en défaire sans certains gestes qu’il a mis en place et qui deviennent des rituels. Enfin, encore un symptôme habituel chez le patient névrosé : la somatisation, le plus souvent dans les muscles, mais qui peut aussi se manifester sur le plan des sens ou des viscères. La personne l’exprime tout en tolérant bien le symptôme.
Dans la vie quotidienne, la personne subvient comme il faut à ses besoins, elle a une activité normale, ponctuée de ralentissements à cause de son inhibition, mais sans plus, sa capacité de réflexion et ses interdits lui évitant des passages à l’acte nocifs. On constate une orientation de manière générale hétérosexuelle, mais parfois inhibée et insatisfaite. Les relations sociales (amis, camarades) sont fidèles et stables et la qualité des relations amoureuses est variable, allant de la relation durable et satisfaisante à la relation instable à cause de contrariétés envers les partenaires. La solitude n’est pas vécue agréablement, mais elle est acceptée.
Une structure psychique évoluée, mais conflictuelle
Le processus secondaire vient recouvrir le processus primaire. C’est uniquement dans les rêves, les lapsus, les actes manqués que se révèle le processus primaire. Malgré les traumatismes, la notion du réel est ferme. La loi commune est bien assimilée. La personne utilise souvent la sublimation comme moyen de défense, mécanisme qui permet d’abandonner l’objectif de départ et de transformer l’investissement dans un but utile et acceptable sur le plan moral.
On retrouve fréquemment le refoulement dans cette personnalité, grâce auquel le désinvestissement de la tendance refoulée est possible, puis le contre-investissement sur un aspect dérivé. Le refoulement est dans de nombreux cas incomplet et accompagné de formations réactionnelles, de formations substitutives et de formations de compromis qui permettent un retour du refoulé acceptable. La rationalisation, la dénégation, la projection sont d’autres mécanismes que l’on retrouve, tempérés par les processus secondaires et pouvant provoquer une critique.
Les imagos de base sont évoluées. Celle de soi-même est bien structurée, avec un corps unifié et sexué, une identité équilibrée constituée des identifications successives. Les imagos des parents sont bien distinctes, sexualisées et réadaptées par rapport à la réalité. L’objet est complet et unifié, caractérisé par des éléments issus de la réalité, et organisé autour d’une imago sexuée de l’autre. L’objet oriente la recherche d’un référent, d’un autre concret sur le mode hétérosexuel. Quant aux structures fantasmatiques, elles sont œdipiennes ou post-œdipiennes.
Pour ce qui est du ça, on note que les pulsions libidinales sont plus importantes que les pulsions agressives, que la génitalité prime. Il arrive que des tendances infantiles prégénitales fortement investies perdurent, et il se produit alors un conflit avec le surmoi. Le moi gère de manière efficace les exigences pulsionnelles avec les exigences du réel en faveur de la totalité de l’individu ; toutefois, il a fort à faire entre le ça et le surmoi et se laisse déborder, ce qui aboutit à des aspects pathologiques.
L’investissement du soi est résilient, et les identifications sont cohérentes. Il y a une limite juste entre soi-même et autrui, ce qui fait perdurer l’unité et l’identité individuelle. La présence du surmoi est efficiente, ce surmoi comportant des éléments d’identification issus des deux parents. Il est cependant parfois trop puissant et a alors un mode de fonctionnement exalté, ou bien inapproprié. L’instance d’idéal a bien suivi un processus d’évolution ; elle est modérée et est passée au second plan par rapport au surmoi, mais sa persévérance, même une fois passée au plan secondaire, donne un support aux idéaux.
C’est à cause de la présence d’une dynamique conflictuelle que sont générées des formes pathologiques. Si le ça envoie une poussée pulsionnelle (régressive), le surmoi la barre et met en place des mécanismes de défense, principalement celui du refoulement. Certes, ces armes de défense sont efficaces, mais elles entraînent des difficultés relationnelles et des symptômes chez le sujet.
 
Problèmes tardifs au cours du développement
L’individualisation et l’autonomisation se sont faites convenablement sur le plan du développement. Il y a eu sexuation, phase œdipienne. C’est là que se joue la structuration névrotique de la personnalité.
C’est au cours de la résolution œdipienne, entre cinq et sept ans, puis de nouveau à l’adolescence que se situe la période critique, à savoir la sexuation définitive, l’adoption d’un genre et d’un rôle sexuel, la place parmi les autres, et, à une échelle plus grande, le positionnement dans l’ordre humain (la parentalité, la loi commune).
S’il n’y a pas de difficultés particulières et de fixations antérieures au cours de la phase œdipienne, on assiste à un développement psychologique optimal et une bonne santé. Dans le cas contraire, la résolution œdipienne présente des lacunes et le sujet régresse à un mode relationnel et libidinal de stade infantile. Si la régression s’installe, les conflits également, et les moments ultérieurs de décompensation ou de régression se profilent.
L’auteur signale que la famille est généralement bien structurée et que l’éducation qui y est reçue est satisfaisante. Une éducation rigide dans un milieu fermé et surprotecteur peut engendrer des troubles. Une éducation répressive conduit à une génitalité inhibée du fait de l’extension de l’interdit incestueux. Si l’éducation est toujours aussi rigide et répressive à l’adolescence, on empêche la levée du refoulement concernant la sexualité génitale et elle reste interdite, ainsi que l’ouverture au monde en dehors de la famille.
Peut-être l’amour des parents ou d’un parent est trop intense. Un amour trop lourd de la part du parent œdipien qui n’est pas satisfait de sa relation avec son/sa partenaire mène l’enfant à la nostalgie, car il reste attaché à cet amour. L’enfant ne peut pas résoudre son conflit œdipien si la sublimation du parent est insuffisante et il adopte des attitudes séductrices. On peut aussi assister à une perturbation vis-à-vis de la sexuation, car on incite l’enfant à ne pas se comporter ainsi avec le genre correspondant à son sexe biologique.
Peut-être le père ne remplit-il pas bien son rôle de père. Trop distant, trop sévère – le garçon n’y trouve pas de bon modèle d’identification. Il y a menace de castration quand l’attitude est agressive. Chez la fille, l’absence de tendresse du père est également cause de troubles, car elle n’apporte pas de compensations nécessaires à l’abandon du projet œdipien. De nos jours, on voit parfois des modèles de familles avec effacement du rôle d’autorité tutélaire du père, ou avec ce rôle tenu par une femme. Cela provoque malheureusement une difficulté de repérage qui peut entraîner un infantilisme persistant.
Qu’en est-il, en psychopathologie, de l’événement traumatique ? Y a-t-il eu tentative de séduction sexuelle concrète ? Dans ce cas étudié de la névrose, on a des situations ambiguës, mais guère de relations sexuelles directes. On parlera donc plutôt de « scènes de séduction », ce qui permet d’intégrer le vécu à ce qui s’est passé.
Vers un diagnostic
On s’oriente vers une personnalité névrotique si on a un ensemble clinique montrant une cohérence sur les différents plans de la vie relationnelle et une organisation du psychisme évoluée, possiblement conflictuelle. La reconstitution de l’évolution indiquant une avancée favorable jusqu’à la phase œdipienne, alors on peut diagnostiquer une personnalité qui se situe du côté du pôle névrotique.

6 – Le pôle intermédiaire et es personnalités

Ratages, déviations
D’emblée, ces personnes ont le contact facile. Ensuite, on voit apparaître toute une gamme affective au fil des rencontres, avec des nuances très variables, telles que l’agressivité ou l’adhésivité. On peut également faire face à une neutralité distante. Pourtant, les personnes communiquent bien, avec un vocabulaire tout à fait normal. Quand elles racontent leur vie quotidienne et leur histoire, cela apparaît comme désordonné, tant à cause des événements survenus que du récit en lui-même. Elles ont tendance à sauter certains passages de leur vie, comme s’ils étaient impossibles à évoquer.
Le réel, c’est-à-dire ici le concret et le social, est perçu de manière juste, mais il arrive que la limite entre l’imagination et la réalité devienne floue. Les personnes comprennent la loi commune, mais ont du mal à l’assimiler, et elles tendent à ne pas suivre la loi normative, voire à la transgresser carrément. La perception de l’autre diffère selon les circonstances, on peut le voir très bon ou très mauvais, digne d’être respecté ou juste utile, grand et fort ou petit et faible, et au milieu de ces extrêmes on trouve toutes les nuances possibles avec tous les allers-retours possibles entre deux perceptions. L’histoire personnelle n’est pas harmonieuse et on note d’importantes carences affectives dans le petit âge.
Ces personnes sont parfois en grande souffrance. Quand il y a dépression, elle est forte et particulière, difficile à exprimer, y domine un sentiment de solitude, d’abandon, de vide, qui peut entraîner de graves tentatives de suicide. Fréquemment, ces personnes sont angoissées, et leur angoisse est diffuse, avec ponctuellement des crises de panique. Les décompensations se font parfois sous forme psychosomatique.
Il arrive que se produisent des moments de vacillement subdélirant, avec certaines caractéristiques comme des épisodes de confusion entre imagination et réalité, d’autres de rationalisme, ainsi que des passages à l’acte comme si le sujet était en état de rêve. On sait que ces vacillements sont provoqués par des circonstances (poussées pulsionnelles) ou par les toxiques.
L’action est primordiale, car la mentalisation est faible et les interdits guère solides. De plus, l’inhibition est inexistante, ce qui résulte en une tendance à agir puissante, des colères, des passages à l’acte qui peuvent être violents. Le contrôle émotionnel est trop faible pour gérer tout cela. La vie sexuelle est vive du fait du peu d’inhibition. Ces personnes restent incertaines dans leur sexuation et recherchent des satisfactions perverses, souvent source d’agressions, d’attentats à la pudeur ou de graves viols. Elles font également très souvent preuve d’addictions, que ce soit des addictions alimentaires, médicamenteuses, ou de tabac ou de drogues.
En ce qui concerne les relations avec les autres, on remarque une grande variabilité. Les sujets sont d’un abord facile, mais les liens noués sont instables et les relations peuvent s’interrompre brutalement. On voit aussi nombre de quiproquos et de conflits, car ces personnes ont tendance à attribuer aux autres des intentions purement imaginaires. Dans le domaine sentimental, les relations amoureuses varient de l’amour fusionnel idéal à la relation manipulatrice perverse. Quand il y a solitude, elle est péniblement vécue, et globalement, vivre seul est presque impossible pour ces personnes.
Fonctionnement défaillant
Les personnes du pôle intermédiaire ont du mal à intégrer la loi commune et vont même jusqu’à remettre en question sa légitimité. Le référent objectal a un schème de permanence instable. Il y a bien constitution du principe de réalité, mais la limite entre imaginaire et réalité reste incertaine. On développe peu la mentalisation, et c’est parfois la globalité du fonctionnement psychique qui ne peut être représentée. Dans d’autres cas, ce ne sont que certains domaines – liés à l’objet, donc clivés. Processus secondaire et processus primaire se manifestent en alternance selon les circonstances.
En ce qui concerne les imagos, toute la gamme est présente avec prépondérance inhabituelle des imagos archaïques idéalisées concernant le parent maternant qui a pris une place de toute-puissance, allant de l’infiniment bon et aimant à l’infiniment mauvais et frustrant. L’imago de soi est différenciée et unifiée, mais manquant de force, d’appui, elle balance entre une forme bonne et une forme mauvaise. L’objet, quant à lui, est vu comme un danger : les bons aspects ne sont pas venus modérer les mauvais, et il demeure idéalisé, en dehors de la réalité. Enfin, on assiste à la domination des fantasmes archaïques, surtout pour ce qui est des fantasmes narcissiques de grandeur et de déchéance.
Pour se défendre, ces personnes ont recours au moyen du clivage. Elles ne cherchent pas à cliver les éléments en permanence, mais le font en fonction des circonstances. Le déni est aussi un recours très fréquemment utilisé : les éléments qui dérangent sont tout simplement ignorés. Ils n’entrent pas dans le champ de représentation et ne sont par conséquent pas mentalisés consciemment par la personne. La personne utilise aussi beaucoup le mécanisme de la projection qui lui permet d’attribuer à l’autre les tendances pulsionnelles, les imagos et les fantasmes, créant ainsi des situations relationnelles difficiles.
Pour ce qui est du ça, il y a un équilibre instable entre les pulsions agressives et les pulsions libidinales. Par voie de conséquence, on assiste à la manifestation massive des unes ou des autres selon les circonstances. Les fantasmes montrent une structure archaïque et les tendances sexuelles prégénitales sont toujours très présentes. Le contrôle du moi n’est pas assez puissant, ce qui entraîne des difficultés dans la gestion des exigences pulsionnelles eu égard aux contraintes de l’environnement et des autres.
L’investissement du soi est caractérisé par une forte variabilité qui donne des personnalités narcissiques. Le soi est certes unifié, mais il n’est jamais à l’abri de se cliver, résultant sur une identité variable. L’instance de l’idéal, liée au narcissisme primaire, est composée de très forts éléments identificatoires idéalisés auxquels la personne doit se plier. Cette instance de l’idéal persiste sous une forme non secondarisée, ce qui est une caractéristique du pôle intermédiaire. Il y a une faible constitution du surmoi en raison de la fonction symbolique défaillante et de l’œdipe non résolu, ce qui donne à l’instance idéale une fonction organisatrice.
Ces personnalités du pôle intermédiaire ont un fonctionnement psychologique qui oscille en permanence entre le soi, l’idéal et l’objet. Alors, parfois le soi est renforcé par le bon objet idéalisé et l’instance idéale, et parfois c’est inverse, et le soi se vide, privé de cet apport. L’objet constitue un danger : on s’en désinvestit, on le dénie.
Difficile autonomisation
Des problèmes sont survenus durant la seconde phase structurante, celle qui est juste après la sortie de l’archaïque et juste avant la phase œdipienne. Si ces troubles ont été du domaine de la lignée narcissique, on a une personnalité narcissique, s’ils ont été sur la lignée libidinale, on a une personnalité perverse.
Il est fréquent d’observer des carences éducatives dans l’histoire de la personne – manque d’attention, de reconnaissance de l’enfant. Il a pu être un enfant non désiré ou sa mère a pu être dépressive. Il peut y avoir eu séparation des parents, naissance d’un frère ou d’une sœur accaparant l’attention. On peut mentionner également des comportements d’éducation rigides et sadiques qui ont marqué l’enfant (on l’a laissé pleurer seul dans une pièce), ainsi que l’incapacité parentale à s’occuper de l’enfant. L’incapacité à s’identifier à l’enfant a les mêmes incidences. Mais les carences éducatives peuvent aussi venir, au contraire, d’une volonté de fusion avec l’enfant, d’une attention excessive, la mère voulant le garder dépendant d’elle, lui interdisant de se sentir bien loin d’elle.
En ce qui concerne le plan libidinal, au vu de certains indices, on pense que l’excitation a été activée par des attitudes parentales. Il n’y a pas eu d’entrée dans le processus œdipien et le problème de la castration n’a pas pu être résolu. La personne accorde une trop grande importance aux problématiques anales et phalliques. La différence entre les sexes n’a jamais vraiment été assimilée. Il n’y a pas de stabilisation du symbolique et le surmoi en tant qu’instance interdictrice et identificatoire n’est pas secondarisé.
On a beaucoup plus de mal à retrouver les éléments concernant les organisations à prédominance psychosomatique. On parvient toutefois à comprendre qu’il y a parfois eu des problèmes relationnels conséquents avec la mère vers le début de la seconde structuration, c’est-à-dire vers deux ans. La personne n’a pas pu intégrer l’apaisement symbolisant, et n’a pas eu la possibilité d’utiliser des représentations concernant le corps et la vie affective.
 
Vers un diagnostic
On doit s’orienter vers le pôle intermédiaire quand on a un tableau chaotique, avec un contrôle émotionnel faible ou inefficace, avec d’importantes incertitudes et vacillations sur le plan narcissique et sexuel. Cette organisation psychique, exposant une mauvaise structuration du soi, un fonctionnement chaotique, une structure de fantasmes non génitalisée, favorise un diagnostic de personnalité intermédiaire. La constatation de problèmes survenus au cours de la seconde phase structurante (celle qui suit la sortie de l’archaïque et qui précède la phase œdipienne) oriente le diagnostic en ce sens. Ce pôle intermédiaire peut aussi être appelé « limite ».
Conclusion : 
Si l’on parle de personnalité en psychopathologie, c’est une notion qui déborde largement cette discipline et son acceptation générale en est plus large. Mais l’auteur précise qu’il utilise ce terme afin d’englober l’ensemble de la personne. La personnalité psychique se construit dès l’enfance et se stabilise au fil des relations, de la vie en société.
Les polarités qu’il avance rendent possible un balisage propre à la psychopathologie sous l’angle de la personnalité. Repérer les personnalités relève d’un processus progressif qui doit s’associer avec l’approche clinique, structurelle et psychogénétique.
Aujourd’hui (et cela pourrait changer au fur et à mesure des recherches), on distingue les trois grands pôles suivants : névrotique, intermédiaire et psychotique. Chaque pôle possède un espace d’influence et chaque cas peut ainsi trouver sa place de manière nuancée. Cette démarche innovante évite le morcellement de la clinique et l’éparpillement en une nuée de troubles sans rapport avec la personnalité.
Source :
https://philosciences.com/philosophie-et-psychopathologie/psychopathologie-clinique/349-personnalite-psychopathologie