Qu’est ce que les neuromythes ?

On entend régulièrement dire que l’être humain n’utiliserait que 10 % des capacités de son cerveau. On entend également dire qu’écouter du Mozart rend plus intelligent. Que « tout se joue avant trois ans ». Que ceux qui utilisent plutôt leur cerveau droit sont plus intuitifs et créatifs. Et l’on entend aussi très communément que nous sommes soit visuels, soit auditifs, soit kinesthésiques, et que c’est en apprenant sur cette base de notre point fort que l’on progresse le plus rapidement…
 
Cet article nous montre que toutes ces assertions ne sont que des « neuromythes ». Par neuromythes, on signifie de fausses croyances non fondées scientifiquement sur le fonctionnement du cerveau et sur l’apprentissage. Autant dire que l’on a autant de chances de voir la petite souris un jour que de savoir peindre un paysage sans effort au prétexte que l’on est « visuel » !
À l’Université Laurentienne, au Canada, le laboratoire de recherche en santé cognitive se penche sur le neuromythe des « styles d’apprentissages ». On les appelle les styles VAK, pour visuel, auditif, kinesthésique. Suite à des enquêtes dans 14 pays, on a montré que 90 % des enseignants sont convaincus que leurs élèves sont soit visuels, soit auditifs, soit kinesthésiques. Pour cette raison et dans le but de s’adapter à leur style d’apprentissage supposé, ces professeurs développent des méthodes d’enseignement sous des angles variés : on va ainsi donner des images ou des diagrammes à voir pour les « visuels », on va faire écouter des bandes-son pour les « auditifs », et enfin les kinesthésiques auront la possibilité de manipuler des objets.
Si l’on en est arrivé à la théorie VAK, c’est que l’on pense que chaque cerveau humain se développe selon un mode propre, donc que chaque enfant apprend à sa manière personnelle. L’article nous apprend que c’est vrai dans une certaine mesure, car les 100 milliards de neurones dont le bébé dispose à sa naissance vont se connecter de manière particulière pour chaque personne afin de développer et créer un réseau de connexions synaptiques unique. Toutefois, ce réseau unique ne donne pas au cerveau un mode de fonctionnement individualisé avec pour conséquence un type sensoriel dominant.
Si les cerveaux humains marchaient ainsi, on trouverait plus de différences d’un cerveau à l’autre que de points communs, or il n’en est rien, au contraire ! Chaque cerveau humain montre que les aires sensorielles visuelle, auditive et kinesthésique sont clairement interconnectées. Il suffit d’entendre un bruit quelconque pour que l’aire auditive entre en action, mais aussi automatiquement les aires auditive et kinesthésique, afin de traiter l’information de manière optimale. Et si vous souhaitez le vérifier, regardez une photo d’une personne couverte de moustiques (modalité visuelle), et observez votre réaction. Vous vous mettrez fort probablement à vous gratter (modalité kinesthésique) sans même vous en rendre compte.
Dire que l’on apprend mieux quand on travaille à partir de son style d’apprentissage dominant n’est en fait qu’une hypothèse. Cette hypothèse a été traitée par de multiples études scientifiques, mais aucune n’a su, jusqu’à ce jour, la prouver. Il y a même un Learning Style Challenge en cours qui offrira 5000 $ à l’équipe scientifique qui réussira à démontrer que les styles d’apprentissages sont réellement efficaces !
Pour autant, peut-on dire que les neuromythes soient de belles histoires qui ne font de mal à personne ? Ce n’est pas certain… Étiqueter les enfants n’a jamais été une bonne solution, à moins de vouloir les cantonner dans une catégorie et leur fermer les portes des autres possibilités. Ainsi, un enfant doué en musique sera classé dans les auditifs et sera d’emblée découragé à se tourner vers des disciplines qui ne requièrent pas l’ouïe comme mode d’apprentissage. Un musicien ne serait donc jamais mathématicien en même temps…
Pour cette raison, de nombreux scientifiques mettent en garde contre les pratiques pédagogiques basées sur les styles d’apprentissages. Ces théories ne reposent sur aucune donnée prouvée. On regrette que les enseignants déploient autant d’énergie pour adapter leur enseignement à ces styles d’apprentissages VAK quand ils pourraient développer des méthodes véritablement appuyées par la recherche.
La communauté scientifique qui s’intéresse à l’éducation et aux modes d’apprentissage explore donc plusieurs pistes pour mettre à jour les neuromythes auprès des enseignants.
Ainsi, on cherche à montrer que les fausses croyances en éducation sont dues à une conception simpliste du cerveau humain. On pourrait alors introduire une formation universitaire de neurosciences dans le cursus des enseignants, mais cela ne contribuerait qu’à faire progresser les connaissances des futurs enseignants en neurosciences, sans toutefois diminuer leurs fausses croyances.
Une piste plus prometteuse serait celle des textes de réfutation nourris avec des arguments scientifiques solides que l’on proposerait aux enseignants. Avec des recherches personnelles suivies de réflexion individuelle, ces textes seraient à même de réduire les fausses croyances chez les futurs enseignants. Mais il n’en demeure pas moins que leur futur enseignement court toujours le risque de se voir souiller par les neuromythes…
En réalité, on ne change pas si facilement des convictions profondes. Même des textes fortement argumentés scientifiquement peuvent se montrer insuffisants. Si on les présente en attaque frontale, on peut même obtenir l’effet inverse et renforcer la fausse croyance ! C’est ce qu’on appelle l’effet retour de flamme. Ainsi, 90 % des enseignants qui se sont vus présenter des textes de réfutation ont affirmé reconnaître l’inefficacité pédagogique des styles d’apprentissages. Et pourtant, le tiers d’entre eux ont conservé l’intention de baser leurs techniques d’enseignement sur ces styles d’apprentissages, car ils estiment que leur expérience professionnelle le justifie malgré la recherche scientifique : « Même si la science affirme que cela ne fonctionne pas, moi je l’observe en classe ».
Le fait de suivre les observations et l’expérience et non les résultats scientifiques est la conséquence d’un mécanisme psychologique qu’on appelle le biais de la confirmation. Par exemple, un professeur qui voit que tel élève retient mieux une information si elle est présentée par un schéma aura tendance à classer cet élève comme un « visuel ».
L’équipe de recherche du laboratoire de l’Université Laurentienne a tenté une expérience. Dans le cadre d’une intervention destinée aux enseignants, elle a inventé de toutes pièces une anecdote qui permettra aux participants d’expérimenter personnellement l’inefficacité des styles d’apprentissages.
L’activité consiste à mémoriser des mots accompagnés d’images ou de sons. Étant donné l’hypothèse (le neuromythe) VAK, on s’attendrait à ce que les supposés « visuels » retiennent plus de mots assortis d’une image que d’un son, et le contraire pour les supposés « auditifs ». Cette activité est la réplique des nombreuses expériences scientifiques déjà réalisées, et qui ont toutes, sans exception, échoué à démontrer qu’un « visuel » se souvient plus facilement des mots accompagnés d’images que de sons.
Dans l’expérience de l’Université Laurentienne, en effet, les enseignants ont dû reconnaître que leur mémoire n’avait aucun rapport avec la présentation de l’information selon leur soi-disant style VAK dominant. Et malgré cela, 60 % d’entre eux envisageaient de poursuivre leur méthode d’enseignement basée sur la théorie VAK auprès de leurs élèves !
Pourquoi tant de résistance ? L’équipe de recherche va maintenant réaliser cette expérience auprès des élèves, avec cette fois les enseignants pour témoins, afin que ces derniers disposent d’une anecdote qui serait plus puissante.

Mais dans l’attente des résultats de cette expérience, les lecteurs de l’article sont invités à considérer que tous les cerveaux humains préfèrent recevoir une information au moyen de plusieurs modalités sensorielles, les connexions synaptiques entre les différentes aires sensorielles en étant ainsi renforcées. Par conséquent, présenter un contenu d’enseignement de plusieurs manières, dans des formats différents, reste une pratique pédagogique grandement encouragée et appuyée par la recherche.

 
Voir également :
 
Source :
https://theconversation.com/non-vous-netes-pas-visuel-ou-auditif-pour-en-finir-avec-les-neuromythes-138889?fbclid=IwAR2NuNqM7w7euCsR3lP8ntQpWrzVG2LGOP_4yqo20ky_VoJkr7mxNfvWmI8